top of page

LA COMMUNAUTÉ

chaque chose en son temps   par samantha bérubé

Après mon baccalauréat, j'étais saturée. De pas mal d'affaires. J'avais besoin de changer ma non-routine d'artiste en devenir, d'aller puiser dans "autre chose", et de prendre l'air. J'avais les émotions au bout du rouleau et la switch énergie à off. Le rythme de vie "études + 3 ou 4 travail en même temps" que je traînais depuis 6-7 ans avait finalement eu raison de moi. J'ai abdiqué.

 

Je déteste tout planifier d'avance, je préfère saisir les opportunités qui passent et me laisser surprendre par la vie. C'est alors qu'un beau matin où je me tenais debout dans l'accordéon de la 801, j'ai rencontré par hasard mon ancienne patronne. Très enceinte! En discutant, elle m'annonce qu'elle quitte bientôt pour son congé de maternité et qu'ils n'ont trouvé personne encore pour la remplacer. Oh, la belle perche que je saisis aussitôt! C'est la bouffée d'air que je cherchais. Je lui fais donc part de mon intérêt. Elle me dit qu'elle en discutera avec ses patrons, et on verra.

 

Quelques jours plus tard, je reçois la confirmation. Si un contrat temporaire d'un an me plait, je serai la nouvelle gestionnaire des loisirs dans une résidence pour gens autonome et en perte d'autonomie. Laissez-moi vous dire que lorsqu'on termine un diplôme en théâtre, des contrats de travail d'un an il n'en pleut pas. Et comme j’avais envie de voir d'autres horizons, ça m’allait !

 

Je voulais du changement et j'ai été servie. Organiser des activités avec des retraités autonomes quand on a nous-mêmes 22 ans, c'est une chose. Organiser des activités et accompagner des personnes en fin de vie et en perte d'autonomie, ça en est une autre. On apprend. On apprend en tabarnouche de ces petites bêtes-là.

 

Vivre à leur rythme pendant une année fut un cadeau merveilleux. Chaque discussion, cohérente ou non, en était un aussi. Chaque élan de chaise berçante, chaque bonbon glissé en cachette dans ma poche de veste, chaque conseil, chaque recette de biscuits de Noël, chaque sourire, chaque chanson, chaque anecdote entendue pour la 50e fois et chaque rire dans la maladie était un doux moment.

 

La notion du temps change. On n’a pas le choix, le rythme ralentit et on s'attarde aux détails qui font du bien, on revisite nos 5 sens différemment. On évacue la pression, on développe son écoute, on apprend à ne pas trop s'en faire et on voit la vie sous un nouveau jour.

 

Être confronté à leur perte d'autonomie, leur condition, la présence ou non de leur famille, ça m'a ramenée à ma propre situation. Je suis jeune, j'ai la santé, de l'énergie et ma famille se porte bien. Et puis, je me suis demandée... suis-je en train de perdre mon temps? Pendant que leur temps à eux s'écoule, qu'ils perdent leurs capacités, que leur savoir concret et tangible s'envole, qu'est-ce que je fais? Leur savoir. Ça m'a saisie de plein fouet. Je travaillais avec des bibliothèques de savoir et de vécues dont les tablettes cédaient une après l'autre.

 

J'ai entendu tellement de "j'aurais donc dû" de la part des proches. "J'aurais dû m'intéresser à son jardin, maintenant elle ne peut même plus m'expliquer comment on fait.", "J'aurais dû le visiter plus souvent", "J'aurais dû le prendre plus en photo, je n’ai pas beaucoup de souvenirs", "J'aurais aimé qu'elle m'apprenne à peindre, elle le faisait tellement bien", J'aurais dû.... J'aurais donc dû!

 

Qu'arrivera-t-il lorsque nos bibliothèques auront disparu en emportant avec elles les meilleurs trucs et conseils de jardinage, de chasse et pêche, de tricot, de recettes de pain et de remèdes maison? Seront-ils remplacés par d'autres? Y a-t-il encore des gens pour s'intéresser à eux?

 

Et encore, le retour de cette angoisse. Est-ce que je m'intéresse suffisamment à mes grands-parents? Serais-je là pour eux et mes parents à leur tour? Aurais-je assez d'écoute pour sentir les premiers signes de faiblesse? Je le souhaite. Mais je n'ai que 22 ans. Plus j'accumulais les questions sans réponses, plus je me sentais impuissante face à la vie qui va et rassurée face à ce qui s'en vient.

 

En terminant mon contrat et en déménageant à Trois-Rivières, j'avais envie de canaliser cette énergie dans un projet qui m'apporterait du bien, du réconfort et de la satisfaction personnelle.  Puis, j'ai rencontré Alexandra, et les Occupées sont nées. Lentement, mais sûrement.

 

Toutes deux habitées par cette envie de ralentir un peu la machine de temps à autre pour prendre soin de nous et de nos proches, nous avons sans le vouloir créer une petite communauté autour de nous. Une communauté de personnes remplies de bonnes idées, débordantes de projets et de talents et toutes désireuses de vouloir trouver un équilibre dans le tourbillon vivant du quotidien. Ralentir pour trouver un équilibre. Simplifier pour apprécier davantage. Réduire pour s'y retrouver. Tout cela, sans arrêter ce qui nous fait plaisir et ce qu'on fait de mieux: créer.

 

 

SAM

bottom of page